Equans Digital
Le digital et la décarbonation vont de pair
Raphaël Contamin, directeur d'Equans Digital, dresse un premier bilan et évoque les enjeux de 2023, près de 6 mois après la création de la marque.
1. La COP 27 a une nouvelle fois souligné l’urgence de décarboner les activités économiques. En France, le chef de l'Etat a proposé de doubler à 10 milliards d'euros l'aide publique pour décarboner les plus gros industriels (environ 10 % des émissions des gaz à effet serre émis en France) en échange d'une réduction de moitié de leurs émissions d'ici à 2030. Que peut apporter le digital à la décarbonation ?
RC: Le digital et la décarbonation vont de pair. L’exemple le plus direct est l’apport du digital pour diminuer les consommations d’énergie, donc les émissions associées. C’est ce qu’on appelle la performance énergétique. Prenez par exemple la France. Dans ce pays, le bâtiment représente 44% des consommations énergétiques totales. Et aujourd’hui, seuls 6% des 2.5 millions de bâtiments qui composent le parc tertiaire français sont équipés d'un système de pilotage énergétique intelligent qu'on appelle une GTB (Gestion Technique du Bâtiment). Or l'installation d'une GTB et sa bonne utilisation permettent 30 à 40 % d'économie d'énergie ! Une GTB permet aussi beaucoup plus de flexibilité, pour baisser des consommations en fonction de signaux sur l'état du réseau, comme le signal ECOWATT publié par RTE.
Parlons ensuite du secteur industriel. Là, pendant longtemps, la consommation énergétique était un enjeu de deuxième rang par rapport à des enjeux de performance ou de fiabilité des lignes de production. Mais avec la crise énergétique, les coûts d’approvisionnement en énergie d’une usine se chiffrent aujourd'hui en millions d'euros. L’atout dont dispose l’industrie, à la différence du secteur du bâtiment, c'est que la plupart des sites industriels sont déjà équipés de systèmes de pilotage qu'on appelle des systèmes de contrôle commande (SCADA). Ces solutions de SCADA disposent déjà d’un patrimoine de données significatif et trop souvent sous-exploité : en récupérant ces données, en analysant les tendances et les corrélations au travers de machine learning, on peut prévoir des comportements et optimiser dynamiquement les consignes de ces systèmes afin de faire des gains énergétiques significatifs sans nuire à la fiabilité de la ligne de production. Là encore, le digital peut contribuer significativement à la décarbonation.
2. Il y a un sentiment d’urgence autour de la décarbonation. Comment aller plus vite ?
Raphaël Contamin, Directeur d'Equans Digital
Il y a l’aide publique, mais, bien qu’elle soit nécessaire et importante, elle ne sera pas suffisante. Il y a pour moi deux éléments essentiels à bien comprendre pour accélérer. La première, c’est que nous ne trouvons pas face à un problème de technologie, mais face à un problème de déploiement et d'usage. Les technologies GTB ou SCADA, par exemple, existent depuis longtemps, elles sont robustes, éprouvées et le retour sur investissement est démontré. L’enjeu aujourd’hui c'est leur déploiement, et cela passe par un réseau d’intégrateurs. L’autre enjeu, c’est leur bonne utilisation dans le temps. Et là, il faut des équipes d'exploitation et de maintenance compétentes. Le premier verrou à lever pour accélérer c’est donc de pouvoir mieux former et recruter des techniciens et ingénieurs en automatisme.
La deuxième idée, c’est qu’il faut travailler de manière plus collaborative entre entreprises du secteur : éditeurs de software, intégrateurs, équipementiers, start up et grands groupe. Pour mieux communiquer et expliquer à nos clients la valeur des solutions que nous déployons, nous devons le faire ensemble, chacun dans son rôle, avec ses forces et ses compétences. Nous devons montrer la complémentarité de nos approches, plutôt que de prétendre tout faire de manière isolée. C’est ce type d’approche collaborative que nous déployons aujourd’hui à travers plusieurs sites vitrines (« showroom »), sur lesquels nous invitons nos clients pour un échange sur leurs besoins, et que nous partageons avec des partenaires industriels : il s’agit par exemple du Showroom Ville et Territoires Connectés à Lieusaint, du Showroom sur l’industrie 4.0 à Montargis, ou de la plateforme GO Smart Industry près de Lyon, sur le site mis à disposition par le Conseil Régional.
3. Equans Digital a un peu plus de 6 mois d’activité, comment réagissent les clients ? De quoi ont-ils le plus besoin ?
Les clients d'Equans Digital sont des entreprises et des collectivités locales. Ils connaissent leur activité et leurs besoins. À la différence d'un client individuel, qui cherche un produit sur étagère, ces clients recherchent une solution qui répond à leurs besoins spécifiques.
Nous avons aujourd'hui deux types de clients. Ceux qui veulent une offre globale clé en main. Un projet de construction, par exemple, qui comprend à la fois l'équipement technique et la partie numérique. Dans ce cas, nous nous associons à nos collègues des secteurs Chauffage, ventilation et climatisation et génie électrique pour proposer une offre complète Equans. Par exemple, nous travaillons actuellement sur la rénovation de la Tour Pleyel (près de Paris), où nous fournissons la solution de GTB. Je peux également citer l'ambitieux projet de Ville intelligente qu'Equans réalise pour la région Angers Loire Métropole (Ouest de la France).
Et puis il y a les clients qui ont besoin d'une solution purement numérique : un BOS (Building Operating System) pour les clients tertiaires, ou un système de téléconduite ou de jumeau numérique pour les opérateurs d'infrastructures gazières ou fluviales. Dans les deux cas, nos clients attendent d'être rassurés sur la compétence technique des équipes, mais aussi d'avoir des contacts locaux pour assurer un lien sur le long terme.
Les clients qui ont besoin d'un système de téléconduite ou d'un jumeau numérique sont les plus nombreux.
Par rapport à ce besoin, la première force d’Equans Digital, c’est la taille de son réseau : 6000 personnes, 1 Md€ activité, leader dans le monde sur notre métier d'intégrateur de solutions digitales. En France par exemple, nous avons 4 Pôles d’expertise nationaux (automatisme, robotique, BIM, Data & Système), mais aussi 40 implantations locales au sein du réseau. La deuxième force d'Equans Digital, c'est notre capacité à maitriser un périmètre de briques technologiques large : de l’automatisme au BIM, en allant vers les couches hautes (cybersécurité, interopérabilité, data science).
Grâce à cela nous pouvons alors partir du besoin de notre client et assembler les bonnes briques pour y répondre. Cette combinaison de deux forces - notre approche d’intégrateur et la force de notre réseau - font qu’aujourd'hui, nos carnets de commande n'ont jamais été aussi bien remplis.
4. Quel a été le succès le plus emblématique d'Equans Digital en 2022 ?
Il y en a plusieurs. Je vous donne trois exemples qui illustrent la diversité des projets que nous réalisons pour nos clients.
Le premier concerne les gigafactories, avec le besoin bien compris du gouvernement français de rapatrier en France la production de batteries pour les véhicules électriques. Pour ce type de projet, Equans Digital participe aux offres globales pilotées par Equans, et apporte les solutions numériques associées aux lots techniques (GTB, GTC, supervision, synthèse BIM). En 2022, nous avons remporté les contrats pour ACC et Envision, deux gigafactories qui seront construites à Douai et Douvrin dans le nord de la France, avec des capacités de production de 8 à 10 GWh/an à partir de 2024, de quoi équiper en batteries 75 000 à 150 000 véhicules électriques. Nous sommes également impliqués dans ce type de projets à l'étranger, notamment en Italie et en Amérique du Nord.
Le deuxième exemple est la mise en œuvre d'un projet de science des données avec l'un de nos clients de longue date, SOITEC. Il s'agit d'une solution purement numérique, dont l'objectif était de réaliser des économies d'énergie en optimisant les instructions données aux équipements techniques (chaufferies et unités de refroidissement). Pour ce faire, nous avons utilisé les données historiques que nous collectons dans le cadre de notre travail d'automaticien, et grâce aux technologies d'apprentissage automatique, nous avons pu réaliser des gains de 5 à 10% de consommation par rapport au passé.
Enfin, nous sommes fiers de plusieurs contrats emblématiques dans le domaine des solutions audiovisuelles et de communication unifiée pour les acteurs publics : en France, nous avons équipé le Conseil régional d'Île de France : 147 salles et un hémicycle, et en Australie, le siège de la police de l'État de Victoria : 39 niveaux équipés de solutions audio, vidéo et de communication collaborative.
5. Pénurie de composants, inflation des coûts... comment gérez-vous ces problèmes qui affectent l'industrie aujourd'hui ?
Un de nos avantages, c’est que nous sommes des intégrateurs « agnostiques ». Dans une période de pénurie d’équipements, nous sommes force de proposition lorsqu’il y a pénurie sur un équipement pour en privilégier un autre et être impacté le moins possible. Par ailleurs, d’un membre à l’autre du réseau, nous mutualisons des stocks pour servir l’un ou l’autre qui en manquerait. Concernant l’inflation des coûts, de la même manière, notre position d’intégrateur nous permet d’être force de proposition auprès de clients pour qu’ils la subissent le moins possible : lorsque nous savons qu’un équipement porte un risque d’approvisionnement ou de hausse des coûts importante, nous pouvons proposer à nos clients une alternative répondant à son besoin.
6. Automatisation, IA, robotique, quelles sont les tendances du marché pour 2023 ?
La première tendance que nous observons est le défi de l'interopérabilité des systèmes pour casser les silos et s'engager dans une logique d'hypervision. Dans le monde des bâtiments tertiaires, on parle de Smart Building, ou BOS (Building Operating System), qui permet des cas d'usage combinant des données issues de différents systèmes : systèmes de gestion du bâtiment, contrôle d'accès, modèles de site BIM, etc. Dans le monde industriel, on parle d'Industrie 4.0 avec, par exemple, l'accélération des approches MES (Manufacturing Execution System), pour contrôler les différents paramètres d'une ligne de production de manière globale (qualité, traçabilité). Et dans le monde des villes et des territoires, on appelle cela la smart city, ou les hyperviseurs. Nous avons une solution appelée OC vision qui est un hyperviseur global pour répondre à toutes les problématiques de sécurité d'une ville.
La deuxième tendance marquante est la convergence que nous observons entre les OT (Operational Technologies) et les IT (Information Technologies). Jusqu'à présent, l'informatique était gérée par les services informatiques et les OT par les opérateurs. Ces deux mondes se rejoignent dans l'industrie, mais aussi dans le secteur tertiaire et les collectivités locales. Les systèmes opérationnels sont de plus en plus connectés et doivent interagir avec l'informatique pour l'exploitation des données. Ces deux tendances : interopérabilité et convergence IT-OT, génèrent un besoin accru de vigilance sur les questions de cybersécurité. Aujourd'hui, pour tous les projets d'Equans, nous avons une procédure de cyber visa pour nous assurer que les projets répondent aux exigences cyber de nos clients. Nous essayons de faire monter en compétences l'ensemble des équipes d'Equans sur ces questions, avec le soutien des centres d'expertise centraux d'Equans Digital.
7. De quels profils Equans Digital a-t-il besoin pour relever ces défis ?
La beauté des métiers d'Equans Digital, c'est leur diversité. Dans le cadre de nos projets, nous avons les pieds dans les installations techniques et la tête dans le cloud ! Un projet concret pour illustrer cela : notre client SOKOA qui fabrique du mobilier de bureau au Pays- Basque (France) et à qui nous avons fourni une solution robotique associée à un algorithme de palletisation hétérogène. La palletisation hétérogène, c’est un mot barbare pour dire le Tetris de la palette. Grâce à cela, nos robots savent prendre des paquets de taille et de poids très différents, et constituer des palettes cohérentes, en minimisant l’espace perdu tout en respectant des contraintes de poids et d’équilibre.
Pour ce faire, nous avons eu recours à des profils électriciens et mécaniciens pour concevoir les ilots et faire les câblages, des profils automaticiens et roboticiens pour concevoir la ligne et configurer les systèmes et enfin, des profils développeurs et spécialistes d'IA pour développer l'algorithme spécifique capable de palettiser intelligemment les paquets. Ce type de solution intelligente constitue aussi une réponse aux enjeux de réduction du CO2 de nos industriels : aujourd’hui 30% des camions transportent du vide, c’est pourquoi optimiser la constitution des palettes en réduisant le vide transporté est à la fois une réponse immédiate aux enjeux de performance de production mais aussi de réduction du bilan carbone globale (y compris pour les transporteurs).
8. Comment recrutez-vous et formez-vous ces profils ?
Nous avons de nombreux partenariats avec des écoles de formation, et nous utilisons beaucoup le format de l’alternance pour recruter et intégrer de nouveaux talents : nous avons à peu près 10 % d’alternant en moyenne au sein du réseau Equans Digital. Nos showroom (Lieusaint, Montargis, Lyon) sont un bon moyen pour entretenir le lien avec les filières de formation : nous accueillons régulièrement des élèves de lycée et d’écoles afin de leur faire découvrir nos métiers. En complément, nous avons également mis en place nos propres filières de formation internes, au travers de l’Equans Digital Academy. Dans les métiers du BIM, nous formons soit des passionnés de logiciels à qui on apprend le monde du bâtiment, soit des gens du bâtiment qui ont une fibre informatique.
Nous avons aussi un centre de formation à Bouguenais, dans l’ouest de la France sur le métier de chargé d’essai - les personnes qui mettent en service les installations après les avoir vérifiées. Dans ce centre de formation, on se sert d’un escape game en format mixte digital & physique pour former les futurs chargés d’essai ! Une méthode à la fois ludique et pragmatique qui porte aujourd’hui ses fruits.